Les jardins de Mandela

« Ce geste, cette demande de rupture conventionnelle représentait bien plus que ce qu’elle était en réalité. Elle contenait en germes la fin de vingt années d’une chose à laquelle Matthieu avait cru, croyait et croirait sûrement encore longtemps, pour ne pas dire toujours : la vocation de professeur. Celle qui le faisait se lever chaque matin pour aider des élèves, qui ne comprenaient souvent pas bien ce qu’ils faisaient là, à mesurer et accroître leur propre préhension de la liberté. Celle qui l’amenait à croire en chacun d’elles et eux, en leur potentiel, en leur importance, et à tâcher de les en convaincre eux-mêmes. Celle qui habite, tourmente, fait vibrer, euphorise, anime. Celle enfin qui les conduisait, ses collègues et lui, à supporter toujours plus pour toujours moins, tendus par la seule idée qu’ils faisaient œuvre collective. Celle qu’il venait de déclarer vouloir quitter, en somme, en sachant qu’il ne l’abandonnerait jamais vraiment.

Prof. Quatre lettres seulement. À peine un mot. Mais quel mot. »

Matthieu Simonin enseigne le français dans un collège de REP en Normandie. Si beaucoup fuient l’éducation prioritaire, lui a décidé d’y rester, convaincu de sa mission, surtout pour des adolescents dont les perspectives d’avenir sont en permanence entravées. Face au délitement de l’établissement, des conditions de travail et d’accueil des élèves, il existe un refuge : le club nature du collège. L’espace de verdure est devenu pour tous un îlot dans l’océan de béton qui s’étend des barres d’immeuble au périphérique. Alors, quand élèves et professeurs apprennent par hasard que leurs jardins vont être détruits, tous se mobilisent. L’épuisement et la colère font place à l’entraide, guidée par le mantra de Nelson Mandela fiché sur les carnets de correspondance : « Jamais je ne perds ; soit je gagne, soit j’apprends. »