Extrait
Le ferry
Le 22 octobre 2013, vers 5 h 45 du soir (il faisait déjà presque totalement nuit), elle m’a dit :
«Henry, je veux qu’on fasse un break.»
C’est là, sans doute, que tout s’est joué. En dernière analyse, ce sont ces moments-là qu’on retient toujours. Ils sont comme des jalons de nos existences, comme des phares le long d’une côte. C’est en tout cas là que je l’ai perdue – au sens propre comme au sens figuré.
Je suppose que commencer cette histoire à bord d’un ferry est assez logique, non ? J’ai vécu sept ans sur une île boisée au large de Seattle. Et il ne se passe pas un jour sans que je pense à elle. Le lieu ? Quelque part entre Anacortes, sur la côte du Nord-Ouest Pacifique, et Glass Island – à bord de l’Elwha. Le moment ? Une nuit tumultueuse, une nuit pleine de fureur et de ténèbres – une véritable nuit de tempête.
Il faisait un froid glacial, ce soir-là, je m’en souviens, la pluie des îles tombait à seaux renversés et, au-delà des lumières du ferry, dans le noir, on entendait la mer gronder comme une bête perpétuellement affamée et courroucée. A cause du vacarme infernal des huit mille chevaux-vapeur et des rafales de vent hurlant à nos oreilles, elle avait élevé la voix. J’ai fait de même :
«QUOI ? Qu’est-ce que tu racontes ?»
Elle a battu des cils, baissé les yeux, les a relevés.
«Je sais que j’aurais dû t’en parler plus tôt mais…
– Parler de quoi ? ai-je dit. Naomi, parler de quoi ?» Avec ce foutu boucan, j’étais obligé de hurler, moi aussi, pour me faire entendre.
Le ferry tanguait, nous contraignant presque à danser sur place. Nous nous trouvions sur le pont inférieur ouvert à tous les vents, près des voitures, alors que les autres passagers étaient douillettement assis là-haut, bien au chaud dans les ponts supérieurs fermés, à se raconter leur journée.
C’était Naomi qui avait tenu à descendre ici. À croire qu’elle ne voulait pas qu’on nous voie ensemble…
«Henry, je veux qu’on fasse un break. Une pause… pendant un moment… Le temps d’y voir plus clair. Il est arrivé quelque chose. J’ai besoin de réfléchir.. J’ai besoin de… comprendre…
– Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? Comprendre quoi ?»
Je ne comprenais rien, en ce qui me concernait. Le vent a soulevé la petite mèche brune qui émergeait de sa capuche. Elle a levé les yeux, les a posés sur moi.
«Henry, j’ai découvert la vérité.»
Elle a planté son regard dans le mien. Naomi a – avait – des yeux améthyste, avec des nuances myosotis et lapis-lazuli, un cercle plus sombre, presque noir, autour de l’iris, et une cornée opaline : des yeux de chat.
«Quelle vérité ?» j’ai demandé.
J’ai été pris d’un vertige. Ma tête s’est mise à tourner.
«J’ai découvert qui tu es.»
Voilà. Ça a commence comme ça.
Une séparation – comme il y en a des millions chaque année à une époque où tout le monde veut le bonheur sans en payer le prix. Nous avions seize ans, cet automne-là.
«Qui je suis ? Mais bon Dieu, de quoi est-ce que tu parles ?»
Cette fois, elle n’a pas répondu. –Ce texte fait référence à l’édition Broché.
Présentation de l’éditeur
» Au commencement était la peur… «
Hors des flots déchaînés, une main tendue vers le ciel. Un pont de bateau qui tangue, la pluie qui s’abat, et la nuit… Le début d’une » putain d’histoire « .
Une histoire d’amour et de peur, de bruit et de fureur. L’histoire de Henry, 17 ans, que le meurtre de sa petite amie plonge dans l’enfer du soupçon. Sur son île, Glass Island, battue par les vents, cernée par la brume 360 jours par an et uniquement accessible par ferry, tout le monde connaît tout le monde, jusqu’au plus noir de ses secrets. Ou du moins le croit-on.
Quand la peur gagne, la vérité s’y perd…
» Un livre captivant jusqu’à la toute fin. » Le Point
» Du grand art. » Femme actuelle
Ce livre a reçu le prix Cognac du meilleur roman francophone
Biographie de l’auteur
Bernard Minier est né en 1960 à Béziers et a grandi dans le Sud-Ouest, au pied des Pyrénées. Il vit aujourd’hui en région parisienne où il se consacre à l’écriture.
En 2011, il publie chez XO son premier roman, Glacé, qui signe le début des enquêtes de Martin Servaz. Porté par l’atmosphère menaçante des Pyrénées enneigées et son héros attachant, un peu cabossé par la vie et un brin misanthrope, le roman séduit les lecteurs et est lauréat du Prix du meilleur roman francophone au Festival Polar de Cognac 2011 et du Prix de l’Embouchure 2012. Son adaptation en série télévisée par Gaumont Télévision a été diffusée en France en 2017 sur M6, et est à présent disponible dans le monde entier sur la plateforme Netflix.
Le succès de ses romans suivants, Le Cercle (2012) et N’éteins pas la lumière (2014), qui mettent à nouveau en scène Martin Servaz, fait de lui un auteur incontournable du polar français. En 2015, il accorde un peu de répit à son héros et publie un thriller indépendant, Une putain d’histoire, qui reçoit le Prix du meilleur roman francophone du Festival Polar de Cognac 2015. En 2017, Martin Servaz reprend du service avec l’angoissant Nuit, suivi en 2018 par Sœurs, « un cauchemar écrit à l’encre noire ».
Aujourd’hui, les livres de Bernard Minier ont été vendus à près de 2,5 millions d’exemplaires en France et sont traduits dans vingt langues.
Editeur : Pocket (12 mai 2016)
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